JAPON: LE SOLEIL ROUGE

JAPON: LE SOLEIL ROUGE

Pourquoi j'aime le Japon

      

      Souvent, on m'interroge sur ce qui m'a attiré vers le Japon, sur ce lien particulier qui m'unit à ce pays. L'origine de cette fascination est pour moi quelque peu énigmatique.

 

      Enfant, je ne naviguais pas sur les flots tumultueux des récits de voyage de mes parents. Notre quotidien était ancré dans une routine bien établie, loin des contrées lointaines. Pourtant, au cœur de mes jeux d'enfants, des étincelles japonaises jaillissaient parfois. Les légendes de samouraï, les exploits des ninjas, les codes d'honneur des yakuza... Ces récits, bien qu'évoqués avec un brin d'exagération propre à l'enfance, laissaient une trace indélébile dans mon imaginaire. Mais ces évocations étaient alors loin d'être exclusives : les aventures de cow-boys et d'indiens, les exploits de gendarmes et de voleurs rivalisaient d'ardeur pour captiver mon attention.

 

 

     N'ayant pas grandi bercé par les mélodies enchanteresses des dessins animés japonais ni ne m'étant plongé dans les univers colorés des mangas, je n'ai pas été initié très tôt à cette culture. Il faudra attendre quelques années et l'arrivée de mes propres enfants pour que ces récits nippons résonnent à nouveau en moi.

 

     Mes études, quant à elles, ne m'ont pas offert l'opportunité de plonger en profondeur dans l'histoire et la culture du Japon. C'est donc bien plus tard, poussé par une curiosité insatiable, que j'ai entrepris ce voyage initiatique..

 

    

     Qui n’a jamais entendu cette phrase, lancée avec un brin de suffisance : « Pour moi, il n’y a pas mieux que la France » ? Souvent prononcée par ceux qui n’ont jamais mis les pieds hors de leurs frontières, ou tout au plus ont écumé les plages de la Costa Brava. Ces voyageurs du dimanche, enfermés dans leurs certitudes, ne soupçonnent pas les trésors que le monde leur réserve.

     Moi, j’ai eu cette chance. Le hasard, ce grand ordonnateur des destinées, m’a propulsé au cœur d’un univers que je ne soupçonnais pas : le Japon. Tout a commencé lorsque mon entreprise a été rachetée par un consortium nippon. Des hommes et des femmes, venus d’un pays que je ne connaissais que par les mangas et les films de samouraïs, ont débarqué dans nos bureaux.

     Au début, j’étais intrigué. Ces Japonais, avec leurs salutations à 90 degrés et leur sens du détail poussé à l’extrême, m’étaient presque étrangers. Mais au fil des jours, j’ai commencé à les apprécier. Leur rigueur, leur sens du devoir, leur quête constante de l’excellence m’ont impressionné. Ils ne comptaient pas leurs heures, travaillant souvent tard dans la nuit pour mener à bien leurs projets. Et pourtant, ils conservaient une grande sérénité.

     Je me souviens d’une conversation avec l’un d’entre eux, un ingénieur d’une cinquantaine d’années. Il m’avait confié : « Tout ce qui doit être fait mérite d’être bien fait. C’est une valeur que l’on nous inculque dès l’enfance. » Cette phrase m’avait frappé. C’était comme une révélation. Moi qui passais mes journées à tergiverser, à remettre au lendemain, je me sentais soudain bien petit face à cet homme et à sa philosophie de vie.

     Le Japon m’a ouvert les yeux sur un monde où l’effort, la discipline et la persévérance sont des vertus. Un monde où la beauté se cache dans les détails, où la tradition côtoie la modernité. Et c’est pour toutes ces raisons que je suis tombé amoureux de ce pays.

     

      J’avais toujours cru ces collègues, ces bourreaux de travail acharnés que je côtoyais quotidiennement, issus d’une élite, d’une espèce de caste supérieure, triée sur le volet pour venir enseigner aux pauvres ignorants occidentaux les vertus du travail bien fait. Des envoyés spéciaux, des missionnaires de l’efficacité, venus d’un futur que nous n’étions pas encore prêts à comprendre.

     Puis, mon premier voyage d’affaires au Japon vint me démystifier cette vision romantique. Je découvris alors que ces « extra-terrestres » n’étaient pas une exception, mais la norme. Ils étaient partout, dans les rues, dans les entreprises, dans les usines. Tout le pays semblait fonctionner selon une mécanique bien huilée, d’une précision presque surnaturelle. Un univers où la notion même de saleté semblait un concept abstrait, un anachronisme. Un monde où les trains arrivaient à l’heure, à la seconde près, avec une régularité qui en devenait presque déconcertante. Certains, les plus pointilleux, en profitaient pour vérifier la précision de leurs montres, comme s’il s’agissait d’un rituel ancestral.

     C’est là que je compris que j’avais franchi un seuil, que j’avais pénétré dans un autre monde. Un monde où l’ordre, le respect et le travail étaient gravés dans les pierres, inscrits dans l’ADN de chaque citoyen. Un monde où la famille et l’entreprise formaient un tout indissociable, unis dans une quête commune de perfection.

     Ici, le progrès social ne se faisait pas par la confrontation, par la grève, mais par un effort collectif, silencieux et obstiné. Chaque individu, chaque entreprise, était une pièce d’un gigantesque puzzle, contribuant à l’édification d’une société harmonieuse et prospère. Un modèle qui, bien que fascinant, me paraissait parfois bien loin de mes propres repères, de mes propres valeurs.


      

      A cette époque, florissait au Japon cette étrange notion de "travail à vie". Un pacte quasi chevaleresque liait l'entreprise à son employé : en échange d'une loyauté sans faille et d'un dévouement sans limite, l'employé se voyait garantir un emploi stable, voire à vie. Un deal gagnant-gagnant, sur le papier. En pratique, cela se traduisait par des journées de travail qui s'étiraient à l'infini, des vacances aussi rares que des perles, et une quête perpétuelle de l'excellence. Pour ces samouraïs de l'économie, l'entreprise était bien plus qu'un simple employeur : c'était une famille, une raison de vivre.

     Ces efforts acharnés ont permis à ce petit archipel de se hisser au rang des puissances économiques mondiales. Le miracle économique japonais était né, porté par des générations d'employés prêts à se donner corps et âme pour leur entreprise. Même après l'éclatement de la bulle spéculative, l'esprit du "kaisha", de l'entreprise, est resté profondément ancré dans les mœurs.

 

     J'ai eu l'occasion de goûter à cette culture du travail lors de ces interminables soirées entre collègues, après une journée de labeur. Le rituel était toujours le même : on se retrouvait dans un petit izakaya, une sorte de taverne japonaise, pour trinquer à notre propre fatigue ! "Otsukaresama", disions-nous, en levant nos verres. Une expression qui résume à elle seule cette étrange contradiction : célébrer l'épuisement. Inimaginable en France, où l'on préfère généralement se détendre après le travail. Mais au Japon, c'était une tradition, une façon de renforcer les liens et de souder l'esprit d'équipe.

 

     Au Japon, l'acte de manger est élevé au rang d'art. Les restaurants, ouverts à toute heure et véritables sanctuaires de la gastronomie, vous accueillent avec une ferveur quasi religieuse. Un "Irasshaimase !" tonitruant vous enveloppe, comme une vague de chaleur humaine. Chaque bouchée est une révélation, un voyage gustatif orchestré avec une précision millimétrée. Et lorsque vous quittez les lieux, vous êtes submergé par une pluie de remerciements : "Domo arigato gozaimassu !" s'échappe de toutes les bouches, transformant votre départ en une petite cérémonie.

     En France, la notion de service peut parfois sembler plus... terre à terre. Je me souviens d'un déjeuner où l'on m'a gentiment suggéré de "dégager" mes couverts, alors que je n'avais pas encore tout à fait terminé mon assiette. Une subtilité toute française qui m'a laissé pantois.

 

     Dans les magasins nippons, le client est roi, voire un dieu. Les vendeurs, dévoués et attentifs, se plient en quatre pour satisfaire vos moindres désirs. J'ai assisté à une scène surréaliste où un vendeur, désespéré de ne pas trouver un article dans son magasin, a appelé un concurrent pour me le procurer. Sa détresse était palpable, comme s'il venait de perdre un membre de sa famille.

     En France, trouver un vendeur disponible relève parfois du parcours du combattant. Lorsque, par miracle, vous en dénichez un, il vous regarde avec un mélange de suspicion et d'incompréhension. Et n'espérez pas qu'il se déplace pour vous chercher un article : il vous indiquera plutôt, d'un geste vague, la direction générale du rayon.


      Aux caisses des supermarchés, les employés trient et rangent consciencieusement les denrées achetées dans des paniers en énumérant le nom du produit ainsi que le prix qui s’affiche sur leur écran...
      Quand je vois les caissières de mon carrefour habituel balancer mes produits sur le tapis de leur caisse, j'ai envie de hurler!!!!


      

     C'est surtout lorsque je me retrouve dans les bas-fonds d'Osaka, en pleine nuit, que je mesure à quel point la notion d'insécurité est relative. Imaginez-moi, tel le touriste un peu perdu, déambulant dans les ruelles obscures, cerné par des néons criards et des enseignes en japonais. L'atmosphère est pesante, les regards sont insistants. Pourtant, malgré les apparences, je me sens étrangement en sécurité. Les rabatteurs, ces sirènes des nuits me harcèlent certes, mais leurs insistances sont plus proches de la supplication que de la menace. Il suffit d'un "Je ne suis pas intéressé" prononcé avec fermeté pour qu'ils se retirent, respectueux de cette frontière invisible que je viens d'ériger.

     À Paris, une telle situation dégénérerait bien plus vite. Un regard de travers, une parole mal interprétée, et l'on se retrouve au cœur d'une altercation. Mais ici, au Japon, il règne une sorte de pacte tacite, une entente implicite qui semble préserver chacun de débordements.

 

    Et parlons des sacs à main et des smartphones laissés sans surveillance dans les fast-foods ! Un véritable défi lancé au destin. Au Japon, on pose son sac ou son téléphone sur une table, on va commander son burger, et on revient tranquillement pour le déguster. C’est comme si l’honnêteté était une monnaie courante. À tel point que je me suis surpris à me demander si les vols existaient réellement au pays du Soleil Levant. Peut-être que les voleurs japonais ont tous trouvé un emploi plus stable, comme jardinier zen ou sommelier de saké.

 

     Un soir de semaine, alors que le métro disparaissait rait dans le tunnel et que je terminais une conversation animée avec mes collègues, un éclair de panique me traversa : mon fidèle compagnon numérique, mon ordinateur portable, était resté dans le filet où je l'avais soigneusement déposé ! Le train avait déjà repris sa course, emportant avec lui mon précieux outil de travail.

 

Le cœur battant, je me confiai à mes collègues, qui, avec une bienveillance toute ferroviaire, me conseillèrent de me rendre au guichet du contrôleur. Ce dernier composa un numéro et lança une requête dans son combiné. Quelques minutes plus tard, il me confirmait que mon ordinateur était bel et bien localisé m'attendait à la station suivante. Quelle aventure ! Mon ordinateur avait entrepris en solitaire un petit voyage express, n'intéressant visiblement personne dans la rame bondée..

 

 

 

     Ce soir-là, nous avions choisi de nous régaler dans un authentique pub irlandais, un petit coin d'Émeraude perdu au cœur de la trépidante Midosuji-dori. La table croulait sous les assiettes, les verres et les pintes de bière, créant une ambiance chaleureuse et conviviale. Après avoir réglé l'addition, nous nous étions levés pour regagner le métro, laissant derrière nous une table chargée de vestiges de notre festin. Ce n'est qu'une fois assis dans le wagon que Machiko se rendit compte de sa mésaventure : son iPhone avait été oublié sur la table, dissimulé derrière une pile d'assiettes.

 

     Nous revînmes sur nos pas, le cœur lourd, redoutant le pire. Quelle ne fut pas notre surprise de voir la réceptionniste nous accueillir avec un sourire radieux. Des clients particulièrement honnêtes avaient trouvé le téléphone et l'avaient remis au personnel. Soulagés et reconnaissants, nous quittâmes le pub, emportant avec nous un souvenir impérissable de cette soirée mouvementée

 


      Le Japon, une symphonie de courtoisie au volant. J'ai toujours été fasciné par cette nation où la conduite semble moins un sport de combat qu'une cérémonie du thé sur quatre roues. Les limitations de vitesse, un mantra universel répété inlassablement : 80 km/h, point barre. Même sur ces longues lignes droites qui semblent s'étirer à l'infini, où l'appel de la pédale d'accélérateur est irrésistible, les conducteurs japonais affichent une sérénité à toute épreuve. Et moi, moi qui me suis toujours vu comme un chauffard en herbe, je me surprends à respecter scrupuleusement ces règles, comme si une force invisible m'en empêchait toute déviation.

     Mais il y a un détail qui me joue régulièrement des tours : la conduite à gauche. Mon cerveau, formaté aux routes de France, a du mal à s'en accommoder. Je me suis ainsi retrouvé, non sans une certaine gêne, à rouler tranquillement à droite, dans une petite route de campagne, perdu dans mes pensées. Un moment de flottement, puis le choc : un automobiliste local, d'une courtoisie sans faille, m'a gentiment signalé mon erreur, tout en évitant de justesse une collision. Imaginez la scène en France : un concert de klaxons, des doigts d'honneur brandis avec vigueur, et peut-être même quelques altercations verbales. Au Japon, c'est une simple entorse à l'harmonie générale, vite oubliée.

 

     Ah, l'hygiène ! Un sujet qui, bien souvent, confine à la banalité. Sauf au Japon. Là-bas, les toilettes ne sont pas de simples lieux d'aisances, mais de véritables sanctuaires de propreté et de technologie. Imaginez : un trône chauffant qui s'ouvre à votre approche, une mélodie douce pour masquer les bruits les plus embarrassants, et un panel de jets d'eau digne d'une salle de contrôle aérospatiale. J'exagère à peine. Tellement subjugué étais-je par ces toilettes du futur que j'en ai rapporté un dans mes bagages, transformant ainsi ma modeste demeure française en un avant-poste nippon.

 

     La salle de bain n'est pas en reste. Un onsen privé, à domicile, avec une eau à la température d'un ongle de bébé ? C'est possible au Japon ! Et que dire de la douche, véritable laboratoire de thermorégulation ? Bref, un paradis pour les amateurs d'hydrothérapie.

 

     

     Le contraste est saisissant lorsque je retourne en France. C'est comme si je passais d'un spa de luxe à une décharge publique. Les murs tagués, les rues jonchées de détritus, les regards hostiles... La réalité me rattrape vite. Et c'est alors que je me prends à rêver de mon prochain voyage au pays du Soleil Levant, où la politesse et le respect de l'autre sont érigés en valeurs fondamentales.

 

     

     Le Japon, c'est bien plus que des toilettes high-tech et des bains bouillonnants. C'est un pays qui m'a adopté, avec mon épouse japonaise, notre petite fille et tous nos amis là-bas. C'est une culture riche et complexe, une nature à couper le souffle, une cuisine délicieuse... Bref, une source d'inspiration inépuisable.

 

Qui sait ? Peut-être que je finirai par écrire ce roman tant convoité. En attendant, je vous invite à découvrir mon blog, Soleil Rouge! dans lequel je partage mes aventures nippones. Vous y trouverez bien plus que des anecdotes sur les toilettes ! 

 



13/01/2012
91 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 752 autres membres